Il n’y a pas encore bien longtemps, le voyageur qui allait de Paris à Brest, de la capitale du royaume à la première de nos cités maritimes, s’endormait et s’éveillait deux fois, bercé par les cahots de la diligence, avant d’apercevoir les maigres moissons, les pommiers trapus et les chênes ébranlés de la pauvre Bretagne. Il s’éveillait la première fois dans les fertiles plaines du Perche, tout près de la Beauce, ce paradis des négociants en farine : il se rendormait poursuivi par l’aigrelet parfum du cidre de l’Orne et par le patois nasillard des naturels de la Basse–Normandie. Le lendemain matin, le paysage avait changé ; c’était Vitré, la gothique momie, qui penche ses maisons noires et les ruines chevelues de son château sur la pente raide de sa colline ; c’était l’échiquier de prairies plantées çà et là de saules et d’oseraies où la Vilaine plie et replie en mille détours son étroit ruban d’azur. Le ciel, bleu la veille, était devenu gris ; l’horizon avait perdu son ampleur, l’air avait pris une saveur humide. Au loin, sur la droite, derrière une série de monticules arides et couverts de genêts, on apercevait une ligne noire. C’était la forêt de Rennes.