Que reste-t-il du modèle EDF, mis en place en 1946, de cette formule que beaucoup ont cru et voulu exemplaire ? Que subsiste-t-il de cet ensemble intégré de relations entre les dirigeants d'une grande entreprise nationale et divers acteurs, CGT, appareils d'État, clientèle industrielle et domestique, etc. ? Où sont désormais la toute confiance dans la science, la raison et le progrès, l'identification à la Nation, l'adhésion à la notion de service public, qui apportèrent sa cohésion au modèle EDF ?
En quarante ans, celui-ci a subi bien des chocs, il a été bousculé, complexifié et affaibli, du dedans de l'entreprise, et du dehors plus encore, ne serait-ce qu'avec l'entrée en lice de nouveaux acteurs, syndicats et mouvement antinucléaire notamment. Son avenir semble incertain. Au fil d'une longue et exigeante recherche, Michel Wieviorka et Sylvaine Trinh ont d'abord organisé une série de rencontres où tous les acteurs impliqués ont eu l'occasion de vivre avec les dirigeants de l'entreprise des débats approfondis. Ils ont ensuite encouragé les dirigeants d'EDF à analyser eux-mêmes leur action et à réfléchir sur leur attachement au modèle de 1946, aussi bien que sur leur capacité de le rénover.
Mais qu'on ne s'y trompe pas. Par sa démarche novatrice, par les questions qu'il pose, par les réponses qu'il apporte, ce livre est beaucoup plus qu'une monographie d'EDF, déjà décisive. Il renouvelle, de façon originale, la méthode de la sociologie des organisations, dont il élargit l'espace ; en même temps, il aide à comprendre la crise de la social - démocratie à la française et les changements qui affectent nos entreprises - en particulier dans le secteur public - entrées dans l'ère des stratégies et en quête d'un management à la fois mobilisateur et rationnel.