"Antoine Bloyé" retrace l’ascension sociale d’un fils de simple cheminot. Le monde du travail dessine l’armature sociale d’Antoine Bloyé, qui s’élève dans la hiérarchie de la compagnie, au fil des mutations et des déménagements, habite des demeures plus cossues et entre dans une bourgeoisie qu’il adopte. Empruntant beaucoup à la vie réelle de son père, Paul Nizan poursuit ici sa dénonciation de la bourgeoisie. La trahison y occupe une position centrale: changer de classe, c’est non seulement rompre avec un lieu et avec une culture, mais aussi trahir les siens et se trahir, en franchissant la ligne qui sépare les oppresseurs des opprimés. L’importance des thèmes de l’héritage et de la lignée apparaît pleinement dans la pause que constitue la naissance de son fils, laps de temps pendant lequel la mécanique de la répétition, des gestes, des actions et des préoccupations est interrompue. Il délaisse l’usine et le travail pour envisager sa propre mort et considérer son passé: «Antoine pense souvent à sa propre mort, qui viendra, et il contemple ce fils qui n’est rien encore, qui le trahira, qui le détestera peut-être, ou qui mourra – comme la très grande puissance qui le délivrera lui-même, qui le sauvera de la mort.»