Quatre manuscrits, quatre récits, quatre voix ; mais une respiration continue, grâce à la filiation : le même patronyme signe les quatre écrits. Ces textes paraissent mener leur lecteur, d’une seule coulée, du Directoire à la Ve République. Ils ont cet intérêt exceptionnel : faire éprouver, à travers près de deux siècles d’histoire de France, le sentiment de la durée concrète. Ils ont le charme même du cinéma au ralenti : ils restituent à la métamorphose qu’ils décrivent – celle d’une famille, d’un métier, d’une nation – les séquences minuscules et les gestes fragmentés dont la somme — pourtant — fait un mouvement irrésistible. Bertrand Sandre, l’arrière-grand-père, écrit à Gênes, en 1798, une Histoire de ma vie. L’arrière-petite-fille, Marie Sandre, a quatre-vingts ans lorsqu’en 1961, elle répond à une enquête menée auprès des instituteurs retraités de la IIIe République. Entre Bertrand et Marie, Baptiste, fils du premier, Joseph, père de la seconde, rédigent eux aussi la chronique de leur existence. La passion d’écrire, qui court d’une génération à l’autre dans la famille Sandre, nous vaut aujourd’hui un trésor. C’est notre histoire contemporaine même, plus frappante encore d’être, à l’intérieur d’une seule famille, écrite avec le sang et l’encre. Mona Ozouf.