L’histoire japonaise, son histoire intellectuelle en particulier, sont trop souvent coupées de l’histoire mondiale. Parfois un nom fait recette, le temps d’une mode : Mishima, Nishida, le haiku, le « MA », le Zen, mais on ne discerne aucune continuité, aucune évolution. Maruyama Masao montre ici magistralement que la pensée japonaise ne constitue pas un domaine à part. Loin des habituels discours sur une quelconque spécificité japonaise, il cherche au contraire à faire entrer l’histoire intellectuelle de son pays en résonance avec celle de l’Europe. Avec lui, « l’esprit oriental » renoue avec la modernité. Il montre en effet comment le Japon a connu depuis le XVIIe siècle un itinéraire intellectuel qui l’a mené à une conscience historique du monde, même si cette modernité japonaise déboucha un temps sur les drames que l’on connaît. La fresque de Maruyama, où sociologues allemands et philosophes néokantiens côtoient les grands noms du néoconfucianisme, où Hegel voisine avec Ogyû Sorai et Motoori Norinaga, aide à comprendre pourquoi, en plein XXe siècle, « coexistaient activement une technologie capable de construire des navires de guerre parmi les meilleurs du monde, et le mythe national voulant que les souverains suprêmes du Japon fussent choisis pour l’éternité des temps par un oracle de la déesse Amaterasu ».