La cybernétique est un de ces mots savants où la Science moderne semble recéler quelque secret fabuleux réservé à ses initiés. Bien que les Grecs anciens l’employaient déjà pour désigner l’art du pilotage, le « mot » sonne à nos oreilles inaccoutumées d’une manière étrange, presque inquiétante, la « chose » pourtant est désormais d’une évidence qui confine à la banalité. Il n’est pas indispensable d’être un spécialiste en mathématiques, en télécommunication, en physiologie, en psychologie ou en sociologie, encore que la cybernétique concerne toutes ses disciplines, pour comprendre de quoi il s’agit. Au-dessus du champ extrêmement varié de ses applications techniques, elle apparaît comme une philosophie scientifique du comportement humain, une sorte de sagesse que nous mettons continuellement en œuvre sans même nous en rendre compte. À ce titre, elle relève de la culture générale des hommes de la seconde moitié du vingtième siècle. Un de ses mérites est de poser en termes nouveaux, incisifs, impitoyablement clairs, le vieux problème de la transcendance. Quelle est la place du Dieu des mythes religieux, en particulier de l'Église chrétienne, dans l’art de vivre aujourd’hui ? La cybernétique illustre comment la méthode scientifique doit s’efforcer de résoudre le problème en l’éludant. Mais, en même temps, elle rend perceptibles les limites de l’empire du savoir rationnel arrachant ses programmes d’action à une transcendance sans laquelle la pensée n’aurait pas d’avenir. La sagesse cybernétique élude les mythes et les théologies à force de refouler la transcendance qui voile d’irrationalité tous les projets humains à leur naissance. Notre âge cybernétique assiste-t-il à l’agonie du Dieu transcendant de la tradition de l'Église ? N’existe-t-il pas d’autre transcendance que celle qui est sans cesse dévorée par l’appétit de la pensée rationnelle ? La réponse dépasse les frontières de la cybernétique dont les exigences rappellent utilement à tous ceux qui parlent dogmatiquement de Dieu que l’esprit humain, malgré tout, respire à l’air libre. Pourquoi Dieu ne resterait-il pas le nom propre de la liberté ? Puisque la liberté, en définitive, c’est la transcendance…