« Il s’installe sur le palier, encerclé par les chaussures à réparer. Les rides se perdent sur son visage, il garde les yeux baissés. Ses mains sont longues et larges, elles bougent toutes seules, on voit les veines sombres qui serpentent sous sa peau. Il serre le cuir ruisselant contre son tablier, en amoureux, et lui coupe la gorge en même temps. Son couteau aiguisé fait dans la matière un bruit mat, attirant. D’une petite boîte ronde, il prend une petite poignée de clous qu’il met dans sa bouche, des clous à têtes rondes et plates qu’il avale. Il se laisse conduire comme les aveugles par le toucher. L’une de ses mains lève le marteau, l’autre exécute un rapide aller-retour. Un clou est apparu dans un pli de sa lèvre, il est passé entre ses doigts, frappé d’un coup unique, enfoncé dans la profondeur du cuir. Un autre suit aussitôt. Maman sort sur le palier et me prend par le bras. – Ne reste pas là. C’est un Palestinien. Une ombre passe dans son regard, je suis sur la piste. Ce cordonnier sans yeux fait partie de la nébuleuse dont il faut avoir peur. Je tiens une fraction du mystère, je ne le lâcherai pas. »