La lande bretonne est hantée. Les recteurs eux-mêmes l’avouent. Depuis 1793, des milliers d’âmes errent dans ses chemins creux, s’attendent au pied des calvaires, murmurent dans les genêts. Les granites couchés dans la bruyère, face en terre, sont les morts des batailles anciennes. Il n’y a plus ni trônes de crapaud, ni mouches de chêne. Le battoir des lavandières de nuit s’est tu, mais il reste les hermines. Elles sont la mémoire de la vie d’autrefois. C’était vingt ans avant la mort du roi Louis XVI, face au Yaudet, sur la corne de falaise arpentée vers la grève. Il y avait là le bourg de Saint Jorland, près du manoir de Gwenn Minel, domaine du baron de Ker-Ys. Ses gens l’appelaient : Monsieur Alain. Il était le dernier survivant d’un monde et ne le savait pas. Ses mains étaient faites pour le bois des charrues ; les misères du temps les fermeront sur la garde des épées. Le hobereau devra se battre contre la ruse, l’artifice et la félonie. Chez lui, il affrontera les loups, la famine et l’administration royale. Il y sacrifiera un peu de sa chair et de son sang. En franchissant ses frontières pour mieux les défendre, saura-t-il préserver son âme et ses illusions des intrigues de cour et des amours perverties ?