Réformer l’islam – On a beau ne pas partager les convictions d’Éric Zemmour (cette étrange obsession pour la soumission des femmes !), la place qu’a prise le plus dérangeant des essayistes français dans le débat public (notamment avec le Suicide français, 500 000 exemplaires vendus à ce jour) prouve qu’il appuie là où ça fait mal. Le pessimiste, disait Oscar Wilde, est celui qui entre deux maux choisit toujours les deux. Éric Zemmour choisit tout : déclinisme, nostalgie, fascination pour Bonaparte et Robespierre, regrets éternels pour la France de De Gaulle et du Parti communiste, chacun campé dans ses certitudes, la frontière bien tracée et les vaches bien gardées. Mais comment devient-on Éric Zemmour ? Quel est le parcours littéraire de ce prophète de l’Apocalypse ? Quand et comment lui est venue sa révélation mélancolique ? Quels sont les auteurs, les siècles et les textes fondateurs qui l’ont modelé ? La réponse dans ce numéro de la Revue des Deux Mondes. Depuis al-Qaida, Daesh et les attaques terroristes, le monde musulman est confronté à l’interprétation de son texte sacré. Une réforme est-elle possible ? Le philosophe Malek Chebel nous invite à revisiter l’histoire de l’islam. Le défi, nous explique-t-il, est le suivant : « Comment unifier les rangs des musulmans sans devoir choisir entre le repli identitaire ou la guerre sainte comme seuls concepts ? » Autre impasse soulignée par Alaa El Aswany, le célèbre auteur égyptien de l’Immeuble Yacoubian (2), ce pas de deux infernal entre dictature ou islamisme, « les deux faces d’un malheur historique », rendu possible par le wahhabisme. Pour le théologien Ghaleb Bencheikh, « il faut renouer avec l’humanisme d’expression arabe et le conjuguer avec toutes les conceptions philosophiques éclairées du progrès ». Robert Redeker s’interroge sur l’exemple préalable du christianisme : les deux types de réforme religieuse expérimentés en Europe (la réforme protestante fondée sur le « retour à la lettre » et la réforme catholique s’appuyant sur l’administration d’un clergé) sont deux modèles inopérants pour l’islam : revenir au texte littéral, c’est exactement le projet islamiste, et réformer par le clergé n’est pas possible car le sunnisme ne s’appuie pas sur une telle organisation. La réforme ne sera pas un long fleuve tranquille. Et d’ailleurs la réforme de l’islam est-elle la bonne question ? « Imaginons qu’au lieu de réformer l’islam on réforme l’école, propose l’écrivain Leïla Slimani. Et qu’à Alger, à Casablanca, à Tunis ou au Caire, tous les enfants aient droit à l’éducation. Qu’on leur inculque l’art de la dissertation, de la thèse et de l’antithèse... Toute réforme de l’islam est vouée à l’échec s’il n’y a pas des musulmans éclairés pour l’incarner et la faire vivre. » L’exemple de la Tunisie, où la démocratie est à l’œuvre et résiste courageusement au djihadisme, nous autorise à conclure positivement. Dans cette société et dans bien d’autres, les musulmans ont envie de réforme. Sociale, politique et religieuse. Valérie Toranian